Préface de Jacques Benveniste
Préface
Aux marches de la science
La science en marches... cette collection aurait pu s'appeler aussi bien Eppur si
muove , et pourtant elle tourne. Est-ce à dire que les auteurs se prennent, en toute mo-
destie, pour Galilée ? Leur ambition n'est que de chercher et, si possible, de trouver des
réponses à certaines des questions posées à et par la science contemporaine, et, en premier,
l'une des plus angoissantes : pourquoi des chercheurs scientiques, des biologistes, des mé-
decins, dont la fonction implique des sens en éveil et un esprit ouvert, se comportent-ils
dans certaines circonstances comme des aveugles sourds au progrès scientique ? Pourquoi
ces luttes acharnées qui s'apparentent plus à des combats de chefs luttant pour leur terri-
toire qu'à un accueil, rationnel et raisonnable, des interrogations, des interpellations, que
suscite le mouvement même de la science ? Pourquoi les décideurs politiques se laissent-ils
phagocyter les neurones par le complexe scientico-industriel qui pousse vers toujours
plus de la même chose ?
Au cours de ces voyages dans la galaxie Science, on se trouvera face à au moins quatre
paysages :
1o Un chercheur, quel que soit son niveau scientique, quel que soit son degré d'ap-
partenance à l'Establishment, trébuche, au hasard d'un processus expérimental, sur un
résultat étonnant. On verra que, les choses étant ce qu'elles sont, il va presque toujours
l'étouer à la naissance, la lutte pour la survie de ce bébé-résultat risquant de compro-
mettre l'ensemble de son ÷uvre scientique. S'il persiste, il sera immédiatement rejeté par
le Léviathan institutionnel selon un processus de type immunologique, et reconnu comme
non-soi , étranger au corps constitué de la Science.
2o Un chercheur s'aperçoit qu'une théorie existante est erronée ou qu'elle ne recouvre
plus l'ensemble de la connaissance ou ne constitue pas un outil heuristique adapté à
certains problèmes dont la solution devient urgente. S'il est un scientique, et comme tel
ressent profondément l'exigence, consubstantielle à la science, d'un processus constant de
modélisation théorique, il risque de s'engager sur un travail de recherche en confrontation
certaine avec les théories dominantes. Le mécanisme de rejet se met en marche. Ils (le
chercheur, ses résultats, sa théorie nouvelle) seront à coup sûr rejetés, laminés, éliminés.
Rien d'étonnant à cela, dira-t-on, toutes les Églises font de même. Oui, mais il s'agit ici
d'une Église dont le dogme est de n'en avoir pas, dont la règle est de changer constamment
de règle, dont l'idéologie est celle de l'ouverture vers le monde, la nature et ses solutions
dont l'innie variété dée l'imagination. Ces geôles de l'esprit, c'est au nom de la liberté
de chercher qu'elles s'ouvrent et se referment !
v
vi PRÉFACE
3o Les avancées scientiques contribuent à l'émergence de tensions sociales et cultu-
relles de par les problèmes moraux, voire éthiques, parfois économiques, qu'elles posent
à la société qui favorise le développement de l'appareil scientique. Faut-il assumer, au
risque de s'épuiser à les suivre sans jamais les rattraper, l'ensemble de ces bouleverse-
ments ? Faut-il décider en amont et/ou tenter de contrôler en aval ? C'est évidemment
aux politiques de trancher. Mais comment peuvent-ils le faire indépendamment de ceux
qui savent , alors que les questions sont de plus en plus compliquées et intriquées ? Et
puis, d'un bout à l'autre de la chaîne de décisions, quis custodiet ipsos custodienses ?
4o Enn, le progrès scientique tend à rejeter dans les ténèbres de la pseudoscience ce
qui n'est peut-être que la science limite. Le risque est de supprimer les bourgeons encore
informes qui poussent aux branches distales de l'arbre de la connaissance et de ralentir la
marche de la science elle-même. Le risque est aussi de refuser à des pratiques empiriques
l'accès aux méthodes de vérication scientique ; et ceci, par un raisonnement circulaire
ad hoc, parce que ces empirismes ne sont pas vériés, et peut-être pour certains, pas
vériables en l'état actuel des théories ou des technologies.
Nous ne pensons pas apporter toutes les réponses mais nous espérons poser le maxi-
mum de questions. Les auteurs, engagés personnellement dans le combat pour la science
et pour une société autant qu'il est possible en paix avec sa science, témoigneront, oui,
simplement témoigneront.
Ce premier livre de la collection réunit fort heureusement l'ensemble des caractères
que je viens d'évoquer.
C'est le livre d'un scientique, mais aussi d'un aventurier, aventure théorique, qui
s'attaque aux paradigmes établis, aventure technologique et expérimentale, aventure so-
cio philosophique, enn, tout ce qui touche aux autres mondes retentit sur le nôtre. Quelle
meilleure réponse aux scientistes pour lesquels en dehors du scientisme, tout est pseudos-
cience que cette étude lucide et engagée d'un problème dicile ? Oui, ce livre est le modèle
de ce que nous ambitionnons pour ceux à venir.
Docteur Jacques Benveniste
Directeur de recherche à l'Inserm
Avertissement
Jean-Pierre Petit, directeur de recherche au CNRS, physicien théoricien, est un au-
thentique scientique qui se dénit lui-même comme rationaliste. De singulières aventures
vont l'amener à s'intéresser progressivement au sujet OVNI, et même à s'y investir to-
talement au point de rendre indiscernables cette quête très particulière et son activité
professionnelle.
Au-delà des événements rapportés dans cet ouvrage, une hypothèse se fait jour : dans
les hautes sphères les gens sauraient parfaitement à quoi s'en tenir, mais tenteraient
d'occulter la vérité en menant des opérations de ésinformation, comme la création en
1977 d'un groupe chargé ociellement d'étudier le phénomène, qui, placé dans l'incapacité
de produire un constat nal négatif, pour fuir les questions gênantes des chercheurs, s'est
sabordé précipitamment en décembre 1988 en dissolvant son propre conseil scientique.
L'un des anciens membres de ce conseil fantôme témoigne en qualiant cette opération
de trahison intellectuelle.
Jean-Pierre Petit cherche à comprendre le pourquoi d'une attitude si déconcertante,
et nous montre qu'elle ne fait que traduire la façon dont une société planétaire tente,
vaille que vaille, de se protéger contre les eets déstabilisants d'un éventuel contact avec
des habitants d'une autre planète, lesquels, en ethnologues patients, seraient parfaitement
conscients des risques inhérents à l'opération et ne feraient rien pour hâter une prise de
conscience aussi traumatisante. Il qualie cet ensemble de comportements de phénomène
socio-immunitaire.
L'ouvrage est complété par une annexe scientique qui regroupe les résultats obtenus
et démontre que le sujet OVNI est à la fois fécond et scientiquement passionnant.
vii
Introduction
Une bien curieuse machine
Plat sur le dessous et bombé sur le dessus, l'objet était parfaitement rond. Il devait
mesurer huit ou neuf mètres de diamètre et brillait d'un éclat métallique. J'évaluais son
épaisseur à un mètre et demi, tout au plus. A sa partie la plus haute on distinguait un
large orice de près de deux mètres de diamètre, aux bords arrondis. Au centre émer-
geait une espèce de bulbe, d'ogive métallique, qui dépassait d'une bonne cinquantaine de
centimètres.
Cet engin discoïde était ceinturé par une sorte de jupe annulaire. A la jonction on
distinguait donc une fente circulaire, qui taisait tout le tour et qui devait faire cinq à
sept centimètres de large. Comme il était distant du sol d'une trentaine de centimètres, je
supposais qu'il devait reposer sur des béquilles, ou sur une sorte de train d'atterrissage.
Sur la partie supérieure deux t cockpits transparents faisaient saillie.
Je m'approchai pour le voir de plus près. Le hangar était désert et il semblait n'y avoir
personne aux alentours. A travers une des bulles vitrées on voyait très bien le siège du
pilote. L'autre cockpit était factice et contenait apparemment des instruments de mesure
et des enregistreurs destinés aux essais en vol. Je supposais que sa présence se justiait
pour donner à l'ensemble de la machine une parfaite symétrie au plan aérodynamique.
Après des études à l'École Nationale Supérieure de l'Aéronautique de Paris, j'avais
obtenu en 1961 une bourse pour eectuer un stage aux États-Unis, au James Forrestal
Center, rentre de recherche dépendant de l'université de Princeton. Celui-ci était dirigé
par un certain professeur Bogdano. Ayant eectué les formalités d'accueil à l'université,
j'avais voulu rejoindre sans attendre le laboratoire où j'étais censé travailler et j'étais
arrivé au moment où tout le monde était parti déjeuner. J'avais alors erré dans les lieux,
au hasard. Parcourant des halls déserts, emplis de soueries, de bancs d'essai, j'étais
tombé sur une porte portant la mention Restricted area. Authorized persons only ,
c'est-à-dire Secteur dont l'accès est interdit à toute personne non munie d'un laissez-
passer .
Cette porte n'étant pas fermée, j'avoue que je ne résistai pas à la tentation de faire
une rapide incursion dans ce secteur interdit, pensant, au cas où je serais surpris dans les
lieux, qu'il me serait toujours possible d'invoquer ma connaissance imparfaite de l'anglais.
Dans ces nouveaux halls d'essai, tous aussi déserts que les précédents, les maquettes
ressemblaient à des assiettes accolées. Je ne jetai qu'un coup d'÷il rapide à ces montages.
C'est alors qu'en poussant une dernière porte, je tombai sur un monstre métallique assez
impressionnant.
1
2 INTRODUCTION
J'étais assez formé en aérodynamique pour pouvoir en comprendre le fonctionnement.
En grimpant sur celui-ci je vis de larges pales qui convergeaient vers le bulbe central et
qui signalaient l'entrée d'un compresseur d'air. En me glissant ensuite sous la machine
j'aperçus, au centre, l'orice de sortie des gaz brûlés du turbocompresseur qui mettait ces
pales en mouvement. Six canalisations radiales, bien visibles sous la machine, alimentaient
la buse annulaire qui crachait les gaz vers le bas, à travers une fente d'à peu près un
centimètre de large qui faisait tout le tour de l'appareil.
L'air était donc aspiré à la partie supérieure et refoulé, grâce à la buse annulaire, selon
un rideau gazeux qui frappait le sol en s'épanouissant. Je savais que ce système de rideau
annulaire (annular curtain) s'accompagnait de la création d'un coussin d'air comprimé
qui permettait à la machine de se sustenter.
Aussi surprenant que cela puisse paraître le type de recherche menée au James Forrestal
Center à cette époque, qui correspondait à des études conjointes américano-canadiennes,
n'était pas un cas unique. Deux ans plus tôt des essais de tels disques sustentateurs
avaient été eectués à l'Onera2 de Meudon par le professeur Poisson-Quinton, dont j'avais
lu le rapport. J'avais moi-même fait des essais similaires à Supaero en même temps que
le chercheur roumain Coanda.
Dans le principe cela marchait très bien, mais comme l'avait montré Poisson-Quinton,
tout se gâtait lorsque la machine se déplaçait parallèlement au sol. Le fameux coussin d'air
avait tendance à cher le camp et la machine à piquer du nez. La propulsion horizontale
était assurée par des éjections d'air prélevé en sortie de compresseur. À partir d'une
certaine vitesse le rideau d'air nissait par se replier sous la machine, le coussin d'air se
trouvait chassé vers l'aval et l'engin percutait alors carrément le sol. Ce comportement
fort désagréable entraîna de fait l'abandon de ce prototype américano-canadien.
S'agissant de machines à coussin d'air, l'idée développée par les Anglais avec leur
hovercraft et par le Français Bertin, basée sur un système de jupes souples, s'imposa
d'ailleurs dans les années qui suivirent.
Longtemps après on se demande encore ce qui avait pu passer dans la tête des Amé-
ricains lorsqu'ils avaient construit ce prototype au James Forrestal Center. Certains do-
cuments ayant été déclassiés, conformément à la législation américaine, on sut que ce
projet avait été une des réponses, bien naïve, que le gouvernement américain avait tenté
de donner au problème des fameuses soucoupes volantes.
Le prototype AVRO diérait des machines à coussin d'air étudiées en Europe en ce sens
que la buse annulaire était séparée du corps central par une fente d'aspiration, circulaire.
Lorsque du gaz était eectivement soué dans cette conguration il se produisait un
eet d'entraînement, dit eet de trompe , générateur d'une dépression sur l'amont.
Beaucoup de gens dans les labos faisaient ce type de recherche à cette époque.
Les Américains auraient cru, semble-t-il, pouvoir créer sur la partie supérieure de leur
machine une dépression propre à accentuer l'eet de sustentation. Je ne crois pas cette
explication impossible car, à cette époque, certains phénomènes d aérodynamique restaient
assez mal connus. L'usage de l'ordinateur ne s'était pas encore généralisé, en particulier
dans les simulations de mécanique des uides, qui requièrent une grande vitesse de calcul
et des grosses mémoires centrales. Donc les gens ne savaient pas prévoir ce qui pourrait
2Oce nationale d'étude et de recherche en aérodynamique.
INTRODUCTION 3
se passer sur le disque de ce prototype du James Forrestal Center.
Il ne se passa rien, ou pas grand-chose, mais cette part d'inconnu explique que le projet
ait été classé condentiel défense en son temps et très probablement associé au dossier
OVNI.
On pourra trouver surprenant qu'un étranger de passage ait pu aussi facilement ar-
penter le domaine réservé d'un laboratoire de pointe qui consacrait une bonne partie de
son temps aux recherches militaires. Mais ceux qui connaissent bien les États-Unis savent
que cela a toujours été chose courante.
Les Américains sont des gens plutôt disciplinés. Dans un de leurs laboratoires les gens
pensent sans doute que le fait de placer des pancartes portant authorized persons only
ou restricted area ont un eet dissuasif susant. La première chose qui frappe un
Français lorsqu'il débarque à New York, c'est le fait que les piétons attendent que le feu
soit réellement rouge pour traverser, et qu'ils le fassent précisément dans les passages
réservés à cet usage. Lorsque l'automobiliste américain découvre l'indiscipline naturelle
du piéton français il est en général tellement interloqué qu'il stoppe son véhicule pour le
regarder passer.
La machine américaine est aussi bien souvent dépassée par sa propre complexité. À
l'appui citons une anecdote qui se situe quelque quinze années plus tard, au Lawrence
Livermore Laboratory, en Californie. J'étais ce jour-là en visite dans ce haut lieu de la
science militaire américaine où fut élaborée la première bombe à hydrogène, et qui est
présentement orienté vers tout ce qui touche à la guerre des étoiles. Je me trouvais chez
un chercheur nommé Norman, qui travaillait sur des applications possibles de la fusion
contrôlée, en particulier à la production de très fortes tensions électriques, et je lui disais :
Votre montage en store vénitien est remarquable, pour produire des pinceaux
d'électrons.
Hein ! Me dit l'autre, comment êtes-vous au courant ?
Eh bien, j'ai vu les photos et les schémas explicatifs dans le hall d'entrée.
Dans le hall d'entrée ? ! ?...
Oui, bien sûr, il y a tout un panneau présentant vos recherches.
Livermore est absolument immense. Aucun de nos laboratoires européens ne peut
donner ne serait-ce qu'une faible idée de ce genre de combinat scientique créé, comme
Los Alamos, par les Américains pendant la guerre, en plein désert. J'avais utilisé l'entrée
sud, Norman habitait au nord. Ceci expliquait sans doute cela. Il sauta dans sa voiture
et tint à constater, de visu. L'÷il hagard il parcourut du regard les nombreuses planches
en couleur qui présentaient son dispositif.
Savez-vous que j'ai des consignes, moi, depuis des mois, pour ranger soigneusement
tout dossier concernant ce projet dans mon core ?
Première partie
5
Chapitre 1
La Saga
Toute ressemblance avec des personnages ou des situations imaginaires serait pure-
ment fortuite.
Après cette visite au James Forrestal Center de Princeton, ces es machines volantes
rondes me sortirent de l'esprit pendant prés de quatorze années. A mon retour des États-
Unis je travaillai d'abord à la mise au point des fusées à poudre destinées aux futurs
missiles des sous-marins nucléaires français. Ces moteurs connurent des débuts diciles
et il y eut de nombreuses explosions, très spectaculaires. Quand un propulseur explosait,
la détonation des dix tonnes de poudre qu'il contenait projetait des débris à plus d'un
kilomètre. Les fusées étaient essayées soit dans une sorte de fosse, auquel cas elles Cra-
chaient leurs ammes à 45 mètres vers le haut avec un bruit dont on peut dicilement
avoir idée, soit à partir d'une sorte de chariot monté sur des roues de chemin de fer, qui
reposait alors sur des rails. Ce dernier montage donna un jour lieu à un incident assez
original pour être rapporté.
Le régime de combustion d'un moteur de fusée à poudre dépend de la pression qui règne
à l'intérieur. La seule façon de stopper un tel moteur est d'y créer une baisse brutale de
pression en ménageant un ou plusieurs orices supplémentaires, outre l'orice naturel de
sortie que constitue le col de tuyère. On se débrouille d'ailleurs pour que cette ouverture se
fasse automatiquement à travers des diaphragmes ayant une limite de résistance donnée,
ce qui provoque en principe l'extinction immédiate du propulseur en cas de surpression
accidentelle.
L'une des fusées essayées sur un tel banc avait un diaphragme de sécurité situé sur
l'avant, juste dans l'axe. Pendant un essai il y eut une surpression et celui-ci, jouant son
rôle de système de sécurité, se brisa. Malheureusement, non seulement cela n'entraîna pas
l'extinction du propulseur, mais la rétro-poussée correspondant à cette éjection de gaz
vers l'avant se trouva être supérieure à celle de la tuyère, dont l'orice de sortie était plus
petit.
Personne n'avait pensé à cela. La fusée s'appuyait sur une culée identique à un butoir
de chemin de fer, capable de résister à des poussées cent fois supérieures, mais rien n'avait
été prévu pour la retenir en cas de départ en marche arrière. Elle quitta donc les quelques
mètres de rail constituant son support et partit en cahotant sur le sol dur et caillouteux de
la Crau, dardant deux magniques jets de ammes de 30 mètres, à plus de 2 000 degrés,
l'un dirigé vers l'avant, l'autre dirigé vers l'arrière. L'ingénieur chargé de l'essai et qui, du
7
8 CHAPITRE 1. LA SAGA
fond de son blockhaus de béton, avait l'÷il rivé sur l'oculaire de son périscope, incapable
de faire quoi que ce soit, se contenta de la regarder passer. Elle partit donc en direction
du poste d'entrée où le gardien se trouvait totalement dépassé par les événements. Le
manquant de quelques mètres elle s'arrêta, ayant consumé sa charge de poudre, non sans
avoir volatilisé la clôture grillagée sur son passage.
Je ne sais si les ingénieurs qui travaillaient sur ce projet, qui devait déboucher sur un
missile mégatonnique anti-cités, se rendaient réellement compte de ce qu'ils faisaient. Ce
problème n'agitait strictement personne en vérité. C'est un peu le drame de cette technique
militaire moderne où chacun n'a en charge qu'une seule pièce du puzzle. Le motoriste
cherche à faire des fusées qui fonctionnent, l'atomiste s'eorce de fournir le meilleur des
plutoniums possibles, chacun de ces hommes travaillant comme un boustrophédon (de
boùs, le boeuf et strophédein, le sillon) sans lever le nez de son ouvrage, construisant, sans
le savoir, la meilleure des guerres nucléaires possibles.
On s'ennuyait quand même ferme dans ce centre. Une fois tous les deux mois on pro-
cédait au tir au banc de ces puissantes fusées. Leur guidage devait être assuré par rotation
de quatre tuyères coudées, mues par des vérins. On peut d'ailleurs voir ce dispositif sur un
modèle exposé au musée de l'Air du Bourget. Les ingénieurs cherchaient donc à s'assurer
que le système de tuyère rotative obéissait bien aux ordres donnés par le vérin.
A l'époque ces tuyères avait été mal dessinées et les gaz brûles, pleins de particules
métalliques, passaient allègrement dans le plan de joints, en attaquant tel un formidable
abrasif les roulements à billes de cette jonction partie xe-partie mobile. Dans les premières
secondes du tir on voyait osciller le jet de ammes et le hurlement des gaz évoquait
l'ahanement d'un formidable dragon tapi au fond de la fosse. Puis le jet devenait xe et
le bruit constant, ce qui signiait que les roulements à billes avaient vécu. Il susait alors
de compter jusqu'à trois pour voir la tuyère, cisaillée au niveau du plan de joints, partir
dans la nature.
Quand le propulseur avait ni de brûler, les pompiers d'astres se précipitaient pour
arroser le propulseur ainsi amputé et le refroidir avec leurs lances. En même temps du
blockhaus voisin, telle une fourmilière, surgissait un certain nombre de personnages, dont
des militaires chamarrés, qui accouraient vers le monstre fumant, enn silencieux, en
discutant à perte de vue des eets et des causes.
Pour gagner du temps les pompiers déroulaient leurs tuyaux avant les essais. Un jour,
alors que les huiles bourdonnaient déjà autour de la bête, un jeune pompier, visiblement
peu expérimenté, ouvrit sa lance alors que ses deux talons étaient précisément en appui
sur l'un des tuyaux. Du fait du recul il tomba sur son séant et perdit pendant plusieurs
secondes le contrôle de sa lance, arrosant copieusement généraux et amiraux dans le style
du premier lm des frères Lumière.
1.1 Teslas et mégawatts
Peu à l'aise dans cette recherche orientée vers des buts militaires je m'intégrai alors
dans un laboratoire du sud de la France, spécialisé dans la mécanique des uides. On y
étudiait, entre autres, des générateurs électriques assez curieux, sans pièces mobiles.
Quand on pense à un générateur électrique on a tendance à imaginer un ensemble
1.2. LA BATAILLE DE LA MHD 9
constitué d'un stator et d'un rotor mu par une chute d'eau ou par une turbine à gaz.
Ces générateurs d'un genre totalement diérent, que l'on désignait à l'aide d'un mot
interminable : magnétohydrodynamiques, en abrégé MHD, ressemblaient à des canons
crachant du gaz à haute température (10 000 degrés) et à très grande vitesse (près de 3
kilomètres à la seconde, ce qui fait quand même plus de 10 000 km/h). En dirigeant le tir
de tels canons, appelés aussi tubes à choc, dans une tuyère MHD munie d'électrodes et
de gros solénoïdes, développant un champ de plusieurs teslas1, on obtenait, pendant un
petit millième de seconde, une puissance électrique qui se chirait en mégawatts, avec un
débit de courant allant jusqu'à 10 000 ampères.
Nous nous aairions autour de cet appareil, qui avait l'allure d'un canon de marine,
dont il possédait la longueur et le calibre. Après chaque essai les servants de cette batterie
libéraient la lourde culasse en acier, qui reculait bruyamment sur ses galets en émettant
un nuage de vapeur. On avait un peu l'impression d'être sur un navire immobile, tirant
sur des cibles imaginaires.
Une grosse batterie de condensateurs, mise brutalement en court-circuit, se déchargeait
dans nos solénoïdes en créant un fabuleux courant de 54 000 ampères. Cette décharge
s'accompagnait de fortes tensions mécaniques et il n`était pas rare que notre solénoïde se
volatilise littéralement sous nos yeux dans un bruit d'enfer.
1.2 La bataille de la MHD
Dans ces années 60 de nombreux pays du monde avaient caressé le projet de domesti-
quer l'énergie MHD en créant des machines dont le but était de convertir l'énergie de
gaz chauds en électricité2. Il ne s'agissait plus cette fois de générateurs impulsionels, mais
de dispositifs sophistiqués et coûteux, à l'extrême limite de la technologie de l'époque. En
France, au centre EDF des Renardières, des tuyères aux parois tapissées de céramique,
alimentées par un mélange de pétrole et d'oxygène, crachaient elles aussi leurs gaz brû-
lants dans l'entrefer d'électro-aimants. À Fontenay-aux-Roses, le Commissariat à l'énergie
atomique (CEA) avait bâti un énorme banc d'essai appelé Typhée qui souait un mé-
lange brûlant d'hélium et de césium dans une tuyère MHD. Mais les résultats se révélaient
décevants. Les puissances produites restaient faibles, inexploitables. La tenue thermique
des matériaux interdisait d'utiliser des gaz ayant des températures supérieures à 1 500,
voire 2 000. Or, dans ces conditions leur trop faible conductivité électrique réduisait à
néant les performances de ces générateurs.
Un Américain nommé Kerrebrock eut alors l'idée de faire fonctionner certains de ces
générateurs en dotant leurs gaz de deux températures diérentes. En fait c'est beaucoup
moins exotique que l'on peut l'imaginer car c'est tout simplement ce qui se passe dans
un tube au néon. Le gaz lui-même reste froid lors que le gaz d'électrons acquiert une
température élevée, de l'ordre de 10 000 degrés. C'est cette situation singulière qui fait
que l'on peut toucher un tube en fonctionnement sans se rider les doigts.
Kerrebrock apportait, pensait-il, la solution. Il susait de chauer les électrons, pas
1Un tesla équivaut à 10 000 gauss. Un aimant de couturière fait 200 gauss. Les aimants de la MHD
sont donc cinquante à cent fois plus puissants que celui de la couturière.
2V le schéma de tels générateurs MHD dans l'annexe A.
10 CHAPITRE 1. LA SAGA
le gaz. Nous passerons sur les Mails de cette technique car cela n'est pas vraiment utile
pour suite.
Au moment où les chercheurs du monde entier se lançaient ans cette nouvelle aven-
ture, lors du congrès de Newcastle en 1964, le professeur Shendlin, chef de la délégation
soviétique, annonça soudain :
J'ai amené avec moi un jeune chercheur. Il n'était pas revu dans ce congrès, mais
je crois qu'il a des choses importantes à nous dire.
Ce chercheur s'appelait Velikhov. C'était un petit bonhomme tout rond, avec les yeux
pétillants d'intelligence. Il expliqua calmement que les générateurs MHD bi-températures
allaient être le siège d'une instabilité qui allait anquer toutes leurs performances par terre.
On ne le crut pas une seconde, mais six mois plus tard cette terrible instabilité qu'il ait
découverte et prévue par ses calculs condamnait tous les forts des chercheurs du monde
entier, y compris au CEA.
C'était le bide scientique complet, comme pour la fusion contrôlée.
Les ingénieurs du CEA, assemblés au chevet de leur machine Typhée décidément bien
malade, multipliaient les colloques. C'est à cette occasion que je s personnellement la
connaissance de Velikhov et de son compagnon Golubev lors d'une réunion à Fontenay.
Les Soviétiques dominaient complètement les Français, scientiquement, lesquels ne s'en
apercevaient pas une seconde. Tous les Occidentaux en général espéraient encore que cette
histoire d'instabilité allait se résoudre d'une manière ou d'une autre. C'était la première
fois que cette bande de jeunes Russes venait à Paris et ils passaient toutes leurs nuits à
Pigalle à faire la fête. Un nommé Popov nous contait chaque matin le dernier spectacle
de femmes nues et emplumées auquel il avait assisté, avec un enthousiasme intarissable.
Si le courant ne passait pas dans la tuyère de Typhée, il ne passait pas non plus entre
les ingénieurs du CEA et la délégation soviétique. Porteurs de si mauvaises nouvelles, ces
Russes étaient perçus quasiment comme les responsables de ce qui arrivait. Et puis ils
étaient si ridicules avec leurs pantalons trop larges, leurs chaussettes qui dégringolaient
et leurs allures de paysans. On n'était guère qu'en 1965 et l'ingénieur moyen du CEA ne
dédaignait pas de lancer la petite pique anticommuniste dès que l'occasion s'en présentait.
Le dernier jour, j'invitai Velikhov et Golubev à dîner chez mes beaux-parents, qui
vivaient à Paris. Ils arrivèrent avec des kilos de caviar et des piles de disques, en guise de
cadeaux.
Mais... c'est beaucoup trop...
Que voulez-vous, répondit le futur vice-président de l'Académie des Sciences d'Union
Soviétique, personne ne nous a invités, sauf vous.
1.3 Première découverte
Notre générateur impulsionnel avait une qualité par rapport à tous ces monstres coû-
teux : il ne débitait que pendant une fraction de millième de seconde mais au moins il
fonctionnait, grâce à la très forte température de son gaz d'essai. Le CEA décida donc de
l'utiliser comme simulateur et nous bénéciâmes par son entremise d'un contrat.
Pour simuler ce fonctionnement bi-température il avait été prévu de baisser volon-
tairement la température de notre gaz d'essai, à une température où la machine serait
1.4. LE MEILLEUR DES LABORATOIRES POSSIBLES 11
devenue inopérante, puis de tenter un chauage électronique ad hoc. Mais l'instabilité de
Velikhov, qui avait la propriété de se développer en un millionième de seconde, constituait
a priori un obstacle sérieux.
Mes conversations avec Velikhov m'avaient donné des Idées. Après des mois de cal-
culs j'imaginai une expérience, basée sur un cocktail spécial à base d'hélium, qui devait
permettre, en fonction de mécanismes trop complexes pour être évoqués, de stabiliser le
générateur. |
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