PREMIERE PARTIE
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NOTIONS PRELIMINAIRES
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CHAPITRE PREMIER.
Y A-T-IL DES ESPRITS ?
1. Le doute concernant l'existence des Esprits a pour cause première
l'ignorance de leur véritable nature. On se les figure généralement
comme des êtres à part dans la création, et dont la nécessité n'est pas
démontrée. Beaucoup ne les connaissent que par les contes fantastiques
dont ils ont été bercés, à peu près comme on connaît l'histoire par les
romans ; sans chercher si ces contes, dégagés des accessoires ridicules,
reposent sur un fond de vérité, le côté absurde seul les frappe ; ne se
donnant pas la peine d'enlever l'écorce amère pour découvrir l'amande,
ils rejettent le tout, comme font, dans la religion, ceux qui, choqués de
certains abus, confondent tout dans la même réprobation.
Quelle que soit l'idée que l'on se fasse des Esprits, cette croyance est
nécessairement fondée sur l'existence d'un principe intelligent en dehors
de la matière ; elle est incompatible avec la négation absolue de ce
principe. Nous prenons donc notre point de départ dans l'existence, la
survivance et l'individualité de l'âme, dont le spiritualisme est la
démonstration théorique et dogmatique, et le spiritisme la démonstration
patente. Faisons pour un instant abstraction des manifestations
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE I 8
proprement dites, et, raisonnant par induction, voyons à quelles
conséquences nous arriverons.
2. Du moment que l'on admet l'existence de l'âme et son individualité
après la mort, il faut admettre aussi 1° qu'elle est d'une nature différente
du corps, puisqu'une fois séparée elle n'en a plus les propriétés ; 2°
qu'elle jouit de la conscience d'elle-même, puisqu'on lui attribue la joie
ou la souffrance, autrement ce serait un être inerte, et autant vaudrait
pour nous n'en pas avoir. Ceci admis, cette âme va quelque part ; que
devient-elle et où va-t-elle ? Selon la croyance commune elle va au ciel
ou en enfer ; mais où sont le ciel et l'enfer ? On disait autrefois que le
ciel était en haut et l'enfer en bas ; mais qu'est-ce que le haut et le bas
dans l'univers, depuis que l'on connaît la rondeur de la terre, le
mouvement des astres qui fait que ce qui est le haut à un moment donné
devient le bas dans douze heures, l'infini de l'espace dans lequel l'oeil
plonge à des distances incommensurables ? Il est vrai que par lieux bas
on entend aussi les profondeurs de la terre ; mais que sont devenues ces
profondeurs depuis qu'elles ont été fouillées par la géologie ? Que sont
également devenues ces sphères concentriques appelées ciel de feu, ciel
des étoiles, depuis que l'on sait que la terre n'est pas le centre des
mondes, que notre soleil lui-même n'est qu'un des millions de soleils qui
brillent dans l'espace, et dont chacun est le centre d'un tourbillon
planétaire ? Que devient l'importance de la terre perdue dans cette
immensité ? Par quel privilège injustifiable ce grain de sable
imperceptible qui ne se distingue ni par son volume, ni par sa position,
ni par un rôle particulier, serait-il seul peuplé d'êtres raisonnables ? La
raison se refuse à admettre cette inutilité de l'infini, et tout nous dit que
ces mondes sont habités. S'ils sont peuplés, ils fournissent donc leur
contingent au monde des âmes ; mais encore une fois que deviennent ces
âmes, puisque l'astronomie et la géologie ont détruit les demeures qui
leur étaient assignées, et surtout depuis que la théorie si rationnelle de la
pluralité des mondes les a multipliées à l'infini ? La doctrine de la
localisation des âmes ne pouvant s'accorder avec les données de la
science, une autre doctrine plus logique leur assigne pour domaine, non
un lieu déterminé et circonscrit, mais l'espace universel : c'est tout un
monde invisible au milieu duquel nous vivons, qui nous environne et
nous coudoie sans cesse. Y a-t-il à cela une impossibilité, quelque chose
Y A-T-IL DES ESPRITS ? 9
qui répugne à la raison ? Nullement ; tout nous dit, au contraire, qu'il
n'en peut être autrement. Mais alors que deviennent les peines et les
récompenses futures, si vous leur ôtez les lieux spéciaux ? Remarquez
que l'incrédulité à l'endroit de ces peines et récompenses est
généralement provoquée parce qu'on les présente dans des conditions
inadmissibles ; mais dites, au lieu de cela, que les âmes puisent leur
bonheur ou leur malheur en elles-mêmes ; que leur sort est subordonné à
leur état moral ; que la réunion des âmes sympathiques et bonnes est une
source de félicité ; que, selon leur degré d'épuration, elles pénètrent et
entrevoient des choses qui s'effacent devant des âmes grossières, et tout
le monde le comprendra sans peine ; dites encore que les âmes n'arrivent
au degré suprême que par les efforts qu'elles font pour s'améliorer et
après une série d'épreuves qui servent à leur épuration ; que les anges
sont les âmes arrivées au dernier degré que toutes peuvent atteindre avec
de la bonne volonté ; que les anges sont les messagers de Dieu, chargés
de veiller à l'exécution de ses desseins dans tout l'univers, qu'ils sont
heureux de ces missions glorieuses, et vous donnez à leur félicité un but
plus utile et plus attrayant que celui d'une contemplation perpétuelle qui
ne serait autre chose qu'une inutilité perpétuelle ; dites enfin que les
démons ne sont autres que les âmes des méchants non encore épurées,
mais qui peuvent arriver comme les autres, et cela paraîtra plus conforme
à la justice et à la bonté de Dieu que la doctrine d'êtres créés pour le mal
et perpétuellement voués au mal. Encore une fois, voilà ce que la raison
la plus sévère, la logique la plus rigoureuse, le bon sens, en un mot,
peuvent admettre.
Or, ces âmes qui peuplent l'espace sont précisément ce que l'on appelle
Esprits ; les Esprits ne sont donc autre chose que les âmes des hommes
dépouillées de leur enveloppe corporelle. Si les Esprits étaient des êtres à
part, leur existence serait plus hypothétique ; mais si l'on admet qu'il y a
des âmes, il faut bien aussi admettre les Esprits qui ne sont autres que les
âmes ; si l'on admet que les âmes sont partout, il faut admettre également
que les Esprits sont partout. On ne saurait donc nier l'existence des
Esprits sans nier celle des âmes.
3. Ceci n'est, il est vrai, qu'une théorie plus rationnelle que l'autre ;
mais c'est déjà beaucoup qu'une théorie que ne contredisent ni la raison,
ni la science ; si, de plus, elle est corroborée par les faits, elle a pour elle
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE I 10
la sanction du raisonnement et de l'expérience. Ces faits, nous les
trouvons dans le phénomène des manifestations spirites, qui sont ainsi la
preuve patente de l'existence et de la survivance de l'âme. Mais, chez
beaucoup de gens, là s'arrête la croyance ; ils admettent bien l'existence
des âmes et par conséquent celle des Esprits, mais ils nient la possibilité
de communiquer avec eux, par la raison, disent-ils, que des êtres
immatériels ne peuvent agir sur la matière. Ce doute est fondé sur
l'ignorance de la véritable nature des Esprits dont on se fait généralement
une idée très fausse, car on se les figure à tort comme des êtres abstraits,
vagues et indéfinis, ce qui n'est pas.
Figurons-nous d'abord l'Esprit dans son union avec le corps ; l'Esprit
est l'être principal, puisque c'est l'être pensant et survivant ; le corps n'est
donc qu'un accessoire de l'Esprit, une enveloppe, un vêtement qu'il
quitte quand il est usé. Outre cette enveloppe matérielle, l'Esprit en a une
seconde, semi-matérielle, qui l'unit à la première ; à la mort, l'Esprit se
dépouille de celle-ci, mais non de la seconde à laquelle nous donnons le
nom de périsprit. Cette enveloppe semi-matérielle, qui affecte la forme
humaine, constitue pour lui un corps fluidique, vaporeux, mais qui, pour
être invisible pour nous dans son état normal, n'en possède pas moins
quelques-unes des propriétés de la matière. L'Esprit n'est donc pas un
point, une abstraction, mais un être limité et circonscrit, auquel il ne
manque que d'être visible et palpable pour ressembler aux êtres humains.
Pourquoi donc n'agirait-il pas sur la matière ? Est-ce parce que son corps
est fluidique ? Mais n'est-ce pas parmi les fluides les plus raréfiés, ceux
même que l'on regarde comme impondérables, l'électricité, par exemple,
que l'homme trouve ses plus puissants moteurs ? Est-ce que la lumière
impondérable n'exerce pas une action chimique sur la matière
pondérable ? Nous ne connaissons pas la nature intime du périsprit ;
mais supposons-le formé de matière électrique, ou toute autre aussi
subtile, pourquoi n'aurait-il pas la même propriété étant dirigé par une
volonté ?
4. L'existence de l'âme et celle de Dieu, qui sont la conséquence l'une
de l'autre, étant la base de tout l'édifice, avant d'entamer aucune
discussion spirite, il importe de s'assurer si l'interlocuteur admet cette
base. Si à ces questions :
Croyez-vous en Dieu ?
Y A-T-IL DES ESPRITS ? 11
Croyez-vous avoir une âme ?
Croyez-vous à la survivance de l'âme après la mort ?
il répond négativement, ou même s'il dit simplement : Je ne sais ; je
voudrais qu'il en fût ainsi, mais je n'en suis pas sûr, ce qui, le plus
souvent, équivaut à une négation polie, déguisée sous une forme moins
tranchante pour éviter de heurter trop brusquement ce qu'il appelle des
préjugés respectables, il serait tout aussi inutile d'aller au-delà que
d'entreprendre de démontrer les propriétés de la lumière à l'aveugle qui
n'admettrait pas la lumière ; car, en définitive, les manifestations spirites
ne sont autre chose que les effets des propriétés de l'âme ; avec celui-là
c'est un tout autre ordre d'idées à suivre, si l'on ne veut pas perdre son
temps.
Si la base est admise, non à titre de probabilité, mais comme chose
avérée, incontestable, l'existence des Esprits en découle tout
naturellement.
5. Reste maintenant la question de savoir si l'Esprit peut se
communiquer à l'homme, c'est-à-dire s'il peut faire avec lui échange de
pensées. Et pourquoi non ? Qu'est-ce que l'homme, sinon un Esprit
emprisonné dans un corps ? Pourquoi l'Esprit libre ne pourrait-il se
communiquer avec l'Esprit captif, comme l'homme libre avec celui qui
est enchaîné ? Dès lors que vous admettez la survivance de l'âme, est-il
rationnel de ne pas admettre la survivance des affections ? Puisque les
âmes sont partout, n'est-il pas naturel de penser que celle d'un être qui
nous a aimés pendant sa vie vienne auprès de nous, qu'il désire se
communiquer à nous, et qu'il se serve pour cela des moyens qui sont à sa
disposition ? Pendant sa vie, n'agissait-il pas sur la matière de son
corps ? N'est-ce pas lui qui en dirigeait les mouvements ? Pourquoi donc
après sa mort, d'accord avec un autre Esprit lié à un corps,
n'emprunterait-il pas ce corps vivant pour manifester sa pensée comme
un muet peut se servir d'un parlant pour se faire comprendre ?
6. Faisons pour un instant abstraction des faits qui, pour nous, rendent
la chose incontestable ; admettons-la à titre de simple hypothèse ; nous
demandons que les incrédules nous prouvent, non par une simple
négation, car leur avis personnel ne peut faire loi, mais par des raisons
péremptoires, que cela ne se peut pas. Nous nous plaçons sur leur
terrain, et puisqu'ils veulent apprécier les faits spirites à l'aide des lois de
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE I 12
la matière, qu'ils puisent donc dans cet arsenal quelque démonstration
mathématique, physique, chimique, mécanique, physiologique, et
prouvent par a plus b, toujours en partant du principe de l'existence et de
la survivance de l'âme :
1° Que l'être qui pense en nous pendant la vie ne doit plus penser
après la mort ;
2° Que s'il pense, il ne doit plus penser à ceux qu'il a aimés ;
3° Que s'il pense à ceux qu'il a aimés, il ne doit plus vouloir se
communiquer à eux ;
4° Que s'il peut être partout, il ne peut pas être à nos côtés ;
5° Que s'il est à nos côtés, il ne peut pas se communiquer à nous ;
6° Que par son enveloppe fluidique il ne peut pas agir sur la matière
inerte ;
7° Que s'il peut agir sur la matière inerte, il ne peut pas agir sur un être
animé ;
8° Que s'il peut agir sur un être animé, il ne peut pas diriger sa main
pour le faire écrire ;
9° Que, pouvant le faire écrire, il ne peut pas répondre à ses questions
et lui transmettre sa pensée.
Quand les adversaires du spiritisme nous auront démontré que cela ne
se peut pas, par des raisons aussi patentes que celles par lesquelles
Galilée démontra que ce n'est pas le soleil qui tourne autour de la terre,
alors nous pourrons dire que leurs doutes sont fondés ; malheureusement
jusqu'à ce jour toute leur argumentation se résume en ces mots : Je ne
crois pas, donc cela est impossible. Ils nous diront sans doute que c'est à
nous de prouver la réalité des manifestations ; nous la leur prouvons par
les faits et par le raisonnement ; s'ils n'admettent ni l'un ni l'autre, s'ils
nient même ce qu'ils voient, c'est à eux de prouver que notre
raisonnement est faux et que les faits sont impossibles.
CHAPITRE II.
LE MERVEILLEUX ET LE SURNATUREL.
7. Si la croyance aux Esprits et à leurs manifestations était une
conception isolée, le produit d'un système, elle pourrait, avec quelque
apparence de raison, être suspectée d'illusion ; mais qu'on nous dise
encore pourquoi on la retrouve si vivace chez tous les peuples anciens et
modernes, dans les livres saints de toutes les religions connues ? C'est,
disent quelques critiques, parce que, de tout temps, l'homme a aimé le
merveilleux. - Qu'est-ce donc que le merveilleux, selon vous ? - Ce qui
est surnaturel. - Qu'entendez-vous par le surnaturel ? - Ce qui est
contraire aux lois de la nature. - Vous connaissez donc tellement bien
ces lois qu'il vous est possible d'assigner une limite à la puissance de
Dieu ? Eh bien ! alors prouvez que l'existence des Esprits et leurs
manifestations sont contraires aux lois de la nature ; que ce n'est pas, et
ne peut être une de ces lois. Suivez la doctrine spirite, et voyez si cet
enchaînement n'a pas tous les caractères d'une admirable loi, qui résout
tout ce que les lois philosophiques n'ont pu résoudre jusqu'à ce jour. La
pensée est un des attributs de l'Esprit ; la possibilité d'agir sur la matière,
de faire impression sur nos sens, et par suite de transmettre sa pensée,
résulte, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de sa constitution
physiologique : donc il n'y a dans le fait rien de surnaturel, rien de
merveilleux. Qu'un homme mort, et bien mort, revive corporellement,
que ses membres dispersés se réunissent pour reformer son corps, voilà
du merveilleux, du surnaturel, du fantastique ; ce serait là une véritable
dérogation que Dieu ne peut accomplir que par un miracle, mais il n'y a
rien de semblable dans la doctrine spirite.
8. Pourtant, dira-t-on, vous admettez qu'un Esprit peut enlever une
table, et la maintenir dans l'espace sans point d'appui ; n'est-ce pas une
dérogation à la loi de gravité ? - Oui, à la loi connue ; mais la nature a-telle
dit son dernier mot ? Avant qu'on eût expérimenté la force
ascensionnelle de certains gaz, qui eût dit qu'une lourde machine portant
plusieurs hommes peut triompher de la force d'attraction ? Aux yeux du
vulgaire cela ne devait-il pas paraître merveilleux, diabolique ? Celui qui
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE II 14
eût proposé, il y a un siècle, de transmettre une dépêche à 500 lieues, et
d'en recevoir la réponse en quelques minutes, eût passé pour un fou ; s'il
l'eût fait, on aurait cru qu'il avait le diable à ses ordres, car alors le diable
seul était capable d'aller si vite. Pourquoi donc un fluide inconnu
n'aurait-il pas la propriété, dans des circonstances données, de
contrebalancer l'effet de la pesanteur, comme l'hydrogène contrebalance
le poids du ballon ? Ceci, remarquons-le en passant, est une
comparaison, mais non une assimilation, et uniquement pour montrer,
par analogie, que le fait n'est pas physiquement impossible. Or, c'est
précisément quand les savants, dans l'observation de ces sortes de
phénomènes, ont voulu procéder par voie d'assimilation, qu'ils se sont
fourvoyés. Au reste, le fait est là ; toutes les dénégations ne pourront
faire qu'il ne soit pas, car nier n'est pas prouver ; pour nous, il n'a rien de
surnaturel ; c'est tout ce que nous en pouvons dire pour le moment.
9. Si le fait est constaté, dira-t-on, nous l'acceptons, nous acceptons
même la cause que vous venez d'assigner, celle d'un fluide inconnu ;
mais qui prouve l'intervention des Esprits ? là est le merveilleux, le
surnaturel.
Il faudrait ici toute une démonstration qui ne serait pas à sa place, et
ferait d'ailleurs double emploi, car elle ressort de toutes les autres parties
de l'enseignement. Toutefois, pour la résumer en quelques mots, nous
dirons qu'elle est fondée, en théorie, sur ce principe : tout effet
intelligent doit avoir une cause intelligente ; en pratique : sur cette
observation que les phénomènes dits spirites, ayant donné des preuves
d'intelligence, devaient avoir leur cause en dehors de la matière ; que
cette intelligence n'étant pas celle des assistants, - ceci est un résultat
d'expérience, - devait être en dehors d'eux ; puisqu'on ne voyait pas l'être
agissant, c'était donc un être invisible. C'est alors que d'observation en
observation on est arrivé à reconnaître que cet être invisible, auquel on a
donné le nom d'Esprit, n'est autre que l'âme de ceux qui ont vécu
corporellement, et que la mort a dépouillés de leur grossière enveloppe
visible, ne leur laissant qu'une enveloppe éthérée, invisible dans son état
normal. Voilà donc le merveilleux et le surnaturel réduits à leur plus
simple expression. L'existence d'êtres invisibles une fois constatée, leur
action sur la matière résulte de la nature de leur enveloppe fluidique ;
cette action est intelligente, parce qu'en mourant ils n'ont perdu que leur
LE MERVEILLEUX ET LE SURNATUREL 15
corps, mais ont conservé l'intelligence qui est leur essence ; là est la clef
de tous ces phénomènes réputés à tort surnaturels. L'existence des
Esprits n'est donc point un système préconçu, une hypothèse imaginée
pour expliquer les faits ; c'est un résultat d'observations, et la
conséquence naturelle de l'existence de l'âme ; nier cette cause, c'est nier
l'âme et ses attributs. Que ceux qui penseraient pouvoir donner de ces
effets intelligents une solution plus rationnelle, pouvant surtout rendre
raison de tous les faits, veuillent bien le faire, et alors on pourra discuter
le mérite de chacune.
10. Aux yeux de ceux qui regardent la matière comme la seule
puissance de la nature, tout ce qui ne peut être expliqué par les lois de la
matière est merveilleux ou surnaturel ; et pour eux, merveilleux est
synonyme de superstition. A ce titre la religion, fondée sur l'existence
d'un principe immatériel, serait un tissu de superstitions ; ils n'osent le
dire tout haut, mais ils le disent tout bas, et ils croient sauver les
apparences en concédant qu'il faut une religion pour le peuple et pour
faire que les enfants soient sages ; or, de deux choses l'une, ou le
principe religieux est vrai, ou il est faux ; s'il est vrai, il l'est pour tout le
monde ; s'il est faux, il n'est pas meilleur pour les ignorants que pour les
gens éclairés.
11. Ceux qui attaquent le spiritisme au nom du merveilleux s'appuient
donc généralement sur le principe matérialiste, puisqu'en déniant tout
effet extra matériel, ils dénient, par cela même, l'existence de l'âme ;
sondez le fond de leur pensée, scrutez bien le sens de leurs paroles, et
vous verrez presque toujours ce principe, s'il est catégoriquement
formulé, poindre sous les dehors d'une prétendue philosophie rationnelle
dont ils le couvrent. En rejetant sur le compte du merveilleux tout ce qui
découle de l'existence de l'âme, ils sont donc conséquents avec euxmêmes
; n'admettant pas la cause, ils ne peuvent admettre les effets ; de
là, chez eux, une opinion préconçue qui les rend impropres à juger
sainement du spiritisme, parce qu'ils partent du principe de la négation
de tout ce qui n'est pas matériel. Quant à nous, de ce que nous admettons
les effets qui sont la conséquence de l'existence de l'âme, s'ensuit-il que
nous acceptions tous les faits qualifiés de merveilleux ; que nous soyons
les champions de tous les rêveurs, les adeptes de toutes les utopies, de
toutes les excentricités systématiques ? Il faudrait bien peu connaître le
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE II 16
spiritisme pour le penser ; mais nos adversaires n'y regardent pas de si
près ; la nécessité de connaître ce dont ils parlent est le moindre de leurs
soucis. Selon eux, le merveilleux est absurde ; or le spiritisme s'appuie
sur des faits merveilleux, donc le spiritisme est absurde : c'est pour eux
un jugement sans appel. Ils croient opposer un argument sans réplique
quand, après avoir fait d'érudites recherches sur les convulsionnaires de
Saint Médard, les camisards des Cévennes, ou les religieuses de Loudun,
ils sont arrivés à y découvrir des faits patents de supercherie que
personne ne conteste ; mais ces histoires sont-elles l'évangile du
spiritisme ? Ses partisans ont-ils nié que le charlatanisme ait exploité
certains faits à son profit ; que l'imagination en ait créé ; que le fanatisme
en ait exagéré beaucoup ? Il n'est pas plus solidaire des extravagances
qu'on peut commettre en son nom, que la vraie science ne l'est des abus
de l'ignorance, ni la vraie religion des excès du fanatisme. Beaucoup de
critiques ne jugent le spiritisme que sur les contes de fées et les légendes
populaires qui en sont les fictions ; autant vaudrait juger l'histoire sur les
romans historiques ou les tragédies.
12. En logique élémentaire, pour discuter une chose il faut la
connaître, car l'opinion d'un critique n'a de valeur qu'autant qu'il parle en
parfaite connaissance de cause ; alors seulement son opinion, fût-elle
erronée, peut être prise en considération ; mais de quel poids est-elle sur
une matière qu'il ne connaît pas ? Le vrai critique doit faire preuve, non
seulement d'érudition, mais d'un savoir profond à l'endroit de l'objet qu'il
traite, d'un jugement sain, et d'une impartialité à toute épreuve,
autrement le premier ménétrier venu pourrait s'arroger le droit de juger
Rossini, et un rapin celui de censurer Raphaël.
13. Le spiritisme n'accepte donc point tous les faits réputés
merveilleux ou surnaturels ; loin de là, il démontre l'impossibilité d'un
grand nombre et le ridicule de certaines croyances qui constituent, à
proprement parler, la superstition. Il est vrai que dans ce qu'il admet, il y
a des choses qui, pour les incrédules, sont du merveilleux tout pur,
autrement dit de la superstition, soit ; mais au moins ne discutez que ces
points, car sur les autres il n'a rien à dire, et vous prêchez des convertis.
En vous attaquant à ce qu'il réfute lui-même vous prouvez votre
ignorance de la chose, et vos arguments tombent à faux. Mais où s'arrête
la croyance du spiritisme, dira-t-on ? Lisez, observez, et vous le saurez.
LE MERVEILLEUX ET LE SURNATUREL 17
Toute science ne s'acquiert qu'avec le temps et l'étude ; or, le spiritisme
qui touche aux questions les plus graves de la philosophie, à toutes les
branches de l'ordre social, qui embrasse à la fois l'homme physique et
l'homme moral, est lui-même toute une science, toute une philosophie
qui ne peut pas plus être apprise en quelques heures que toute autre
science ; il y aurait autant de puérilité à voir tout le spiritisme dans une
table tournante, qu'à voir toute la physique dans certains jouets d'enfant.
Pour quiconque ne veut pas s'arrêter à la surface, ce ne sont pas des
heures, mais des mois et des années qu'il faut pour en sonder tous les
arcanes. Qu'on juge, par là, du degré de savoir et de la valeur de
l'opinion de ceux qui s'arrogent le droit de juger, parce qu'ils ont vu une
ou deux expériences, le plus souvent en manière de distraction et de
passe-temps. Ils diront sans doute qu'ils n'ont pas le loisir de donner tout
le temps nécessaire à cette étude, soit ; rien ne les y contraint ; mais
alors, quand on n'a pas le temps d'apprendre une chose, on ne se mêle
pas d'en parler, et encore moins de la juger, si l'on ne veut être accusé de
légèreté ; or, plus on occupe une position élevée dans la science, moins
on est excusable de traiter légèrement un sujet que l'on ne connaît pas.
14. Nous nous résumons dans les propositions suivantes :
1° Tous les phénomènes spirites ont pour principe l'existence de l'âme,
sa survivance au corps et ses manifestations ;
2° Ces phénomènes étant fondés sur une loi de la nature n'ont rien de
merveilleux ni de surnaturel dans le sens vulgaire de ces mots ;
3° Beaucoup de faits ne sont réputés surnaturels que parce qu'on n'en
connaît pas la cause ; le spiritisme en leur assignant une cause les fait
rentrer dans le domaine des phénomènes naturels ;
4° Parmi les faits qualifiés de surnaturels, il en est beaucoup dont le
spiritisme démontre l'impossibilité, et qu'il range parmi les croyances
superstitieuses ;
5° Bien que le spiritisme reconnaisse dans beaucoup de croyances
populaires un fond de vérité, il n'accepte nullement la solidarité de toutes
les histoires fantastiques créées par l'imagination ;
6° Juger le spiritisme sur les faits qu'il n'admet pas, c'est faire preuve
d'ignorance, et ôter toute valeur à son opinion ;
7° L'explication des faits admis par le spiritisme, leurs causes et leurs
conséquences morales, constituent toute une science et toute une
PREMIERE PARTIE - CHAPITRE II 18
philosophie, qui requiert une étude sérieuse, persévérante et
approfondie ;
8° Le spiritisme ne peut regarder comme critique sérieux que celui qui
aurait tout vu, tout étudié, tout approfondi, avec la patience et la
persévérance d'un observateur consciencieux ; qui en saurait autant sur
ce sujet que l'adepte le plus éclairé ; qui aurait, par conséquent, puisé ses
connaissances ailleurs que dans les romans de la science ; à qui on ne
pourrait opposer aucun fait dont il n'eût connaissance, aucun argument
qu'il n'eût médité ; qu'il réfuterait, non par des négations, mais par
d'autres arguments plus péremptoires ; qui pourrait enfin assigner une
cause plus logique aux faits avérés. Ce critique est encore à trouver.
15. Nous avons tout à l'heure prononcé le mot miracle ; une courte
observation à ce sujet ne sera pas déplacée dans ce chapitre sur le
merveilleux.
Dans son acception primitive, et par son étymologie, le mot miracle
signifie chose extraordinaire, chose admirable à voir ; mais ce mot,
comme tant d'autres, s'est écarté du sens originaire, et aujourd'hui il se
dit (selon l'Académie) d'un acte de la puissance divine contraire aux lois
communes de la nature. Telle est, en effet, son acception usuelle, et ce
n'est plus que par comparaison et par métaphore qu'on l'applique aux
choses vulgaires qui nous surprennent et dont la cause est inconnue. Il
n'entre nullement dans nos vues d'examiner si Dieu a pu juger utile, en
certaines circonstances, de déroger aux lois établies par lui-même ; notre
but est uniquement de démontrer que les phénomènes spirites, quelque
extraordinaires qu'ils soient, ne dérogent nullement à ces lois, n'ont
aucun caractère miraculeux, pas plus qu'ils ne sont merveilleux ou
surnaturels. Le miracle ne s'explique pas ; les phénomènes spirites, au
contraire, s'expliquent de la manière la plus rationnelle ; ce ne sont donc
pas des miracles, mais de simples effets qui ont leur raison d'être dans
les lois générales. Le miracle a encore un autre caractère, c'est d'être
insolite et isolé. Or, du moment qu'un fait se reproduit, pour ainsi dire, à
volonté, et par diverses personnes, ce ne peut être un miracle.
La science fait tous les jours des miracles aux yeux des ignorants :
voilà pourquoi jadis ceux qui en savaient plus que le vulgaire passaient
pour sorciers ; et comme on croyait que toute science surhumaine venait |
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